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  • Traitements prophylactiques de la migraine

    La Migraine en Belgique : Prévalence et Impact

    La migraine est un problème de santé important en Belgique. On estime qu’environ 20 % de la population belge est migraineuse, dont une grande proportion de femmes. En Wallonie spécifiquement, une étude a montré une prévalence sur un an de 26 % en moyenne, atteignant 34 % chez les femmes et 18 % chez les hommes. Cela signifie qu’environ une femme wallonne sur trois et un homme wallon sur cinq ont souffert de migraine dans l’année précédente.

    Les crises migraineuses peuvent entraîner de manière assez importante des problèmes au niveau de la qualité de vie de nos patients. La migraine a un coût sociétal important, principalement en raison des coûts indirects liés à la perte de journées de travail. Ces coûts indirects approchent un milliard par an en Belgique.

    La prévalence de la migraine est nettement maximale entre 30 et 50 ans, et plus chez la femme que chez l’homme. Après cet âge, elle a tendance à s’éteindre chez la plupart des migraineux.

    Diagnostic et Classification de la Migraine

    Le diagnostic repose sur l’International Classification of Headache Disorders (ICHD), qui en est à sa 3ème édition et dont la 4ème édition est en cours. Cette classification fournit des critères de diagnostic opérationnels.

    Distinguer Migraines et Céphalées Secondaires

    Il est essentiel de distinguer la migraine des céphalées secondaires. Les céphalées primaires, dont la migraine est la plus fréquente et invalidante, constituent la maladie elle-même et représentent 90 % des céphalées chroniques. Les céphalées secondaires ou symptomatiques ont une cause détectable, éventuellement traitable, et représentent 10 % des céphalées chroniques.

    Des signes justifiant la suspicion d’une céphalée secondaire (acronyme SCAN, pour scanner) incluent : signes anormaux à l’examen clinique/neurologique (normal dans les céphalées primaires), changement d’une céphalée préexistante, aggravation progressive, nouvelle apparition chez une personne âgée (> 50 ans), céphalée nocturne, céphalée explosive (qui nécessite d’exclure un anévrisme) ou une résistance inhabituelle au traitement habituel.

    Critères de Diagnostic de la Migraine sans Aura

    La migraine se manifeste par des crises. Pour le diagnostic de migraine sans aura, il faut au moins cinq crises. Une crise typique dure en moyenne entre 4 heures et 3 jours.

    La céphalée doit remplir au moins deux des critères suivants : unilatérale, caractère pulsatile, intensité modérée ou sévère (réduisant ou empêchant les activités normales), et aggravée par l’effort physique.

    De plus, la crise doit être associée à au moins un des éléments suivants : nausées et/ou vomissements, ou photophobie (sensibilité à la lumière) et phonophobie (sensibilité au bruit). Un simple questionnaire en 3 questions (impact sur activités, nausées, photophobie) permet d’identifier les migraineux avec une probabilité > 90 %.

    Formes de Migraines

    La migraine présente différentes formes :

    • Migraine sans aura : Débute par la céphalée.
    • Migraine avec aura : Associée à des troubles neurologiques transitoires (visuels, sensitifs, etc.) avant ou au début de la céphalée (ex: scotome scintillant).
    • Migraine hémiplégique : Rare, avec perte de force d’un côté du corps. C’est la seule forme monogénétique.
    • Migraine épisodique : Moins de 15 jours de céphalée par mois. Subdivisée en basse fréquence (< 8 jours/mois) et haute fréquence (≥ 8 jours/mois mais < 15 jours/mois).
    • Migraine chronique : ≥ 15 jours de céphalée par mois, dont au moins 8 jours de crises migraineuses. Un sous-groupe a une douleur permanente.

    Environ 3 % des patients en migraine épisodique évoluent vers une migraine chronique en un an. Les causes de la chronicisation sont multiples, notamment la gravité initiale, la surconsommation d’antalgiques (facteur majeur), les comorbidités (dépression, anxiété), l’abus de caféine, le stress/fatigue, la sédentarité, et potentiellement la génétique. La surconsommation d’antalgiques peut commencer à 2 jours par jour et augmenter la fréquence des migraines.

    Physiopathologie de la Migraine

    Pendant la crise, le système trigéminovasculaire est activé, entraînant la libération de CGRP (Calcitonin Gene-Related Peptide), un neuropeptide qui agit sur son récepteur, provoquant signalisation de douleur et dilatation vasculaire méningée.

    Entre les crises, le cerveau migraineux présente une hyperexcitabilité et une diminution de la réserve énergétique (ATP). Le cerveau est hyper réactif mais manque de carburant. Cela est lié à une prédisposition génétique (seuil migraineux abaissé) et interagit avec des facteurs déclencheurs (stimulations sensorielles, déséquilibre énergétique, émotions, hormones féminines).

    Traitements Prophylactiques de la Migraine

    L’objectif du traitement préventif est de réduire la fréquence et la gravité des crises.

    Indications et Stratégie Thérapeutique

    L’indication d’un traitement préventif est individualisée et se base sur :

    • Invalidation des crises par le patient.
    • Fréquence élevée (généralement ≥ 4 jours de migraine/mois, mais à adapter).
    • Échec, intolérance ou surconsommation des traitements de crise.
    • Préférence du patient.

    La première étape est l’adoption de conseils hygiano-diététiques : nutrition (ne pas sauter de repas), gestion du sommeil, activité physique (exercice aérobique régulier peut réduire la fréquence), gestion du stress, évitement des déclencheurs, gestion hormonale.

    Pour les traitements médicamenteux, le choix doit être concerté avec le patient. Il faut expliquer les objectifs, l’efficacité (souvent modérée pour les classiques), les effets secondaires et le système de remboursement (qui impose souvent un traitement par paliers en Belgique). Une ascension posologique lente est recommandée pour les classiques. L’évaluation se fait après 3 mois et le traitement doit durer au moins 12 mois. Un calendrier des migraines aide au suivi.

    Traitements Médicamenteux Classiques

    Ils incluent :

    • Bêta-bloquants (certains).
    • Antagonistes calciques (cinarizine, flunarizine non disponible). Peuvent causer prise de poids, dépression, signes parkinsoniens.
    • Anticonvulsivants (topiramate, valproate). Le valproate est tératogène. Le topiramate peut causer des troubles cognitifs.
    • Sartans.
    • Antidépresseurs tricycliques. Utiles en cas de comorbidités anxio-dépressives.

    La Lamotrigine est spécifique de la migraine avec aura.

    L’efficacité des classiques est d’environ 45 % de répondeurs à 50 % dans la migraine épisodique, et 20-10 % dans la migraine chronique. Les effets secondaires sont fréquents, entraînant 50 % d’abandons après 2 mois dans la migraine chronique.

    Traitements Métaboliques

    Ils visent à améliorer le métabolisme mitochondrial :

    • Riboflavine (B2) : 400 mg/jour. Efficace (56 % de répondeurs à 50 % dans une étude).
    • Acide Folique (B9) : 2 mg/jour.
    • Coenzyme Q10.

    Le régime cétogène est aussi efficace mais difficile à suivre. Leur efficacité est légèrement inférieure aux classiques (35-40 % de répondeurs à 50 %), mais leur avantage majeur est la quasi-absence d’effets secondaires. Ils sont utiles chez l’enfant et la femme enceinte.

    Traitements Anti-CGRP

    Ils ciblent la voie du CGRP et sont les plus efficaces actuellement pour prévenir les crises, avec un meilleur rapport efficacité/effets secondaires que les classiques.

    • Anticorps monoclonaux : Bloquent le CGRP ou son récepteur. Administrés par injection mensuelle ou trimestrielle. Quatre remboursés en Belgique (Erenumab, Galcanezumab, Fremanezumab, Eptinezumab). Effets secondaires rares (réaction locale, constipation, possible augmentation TA). Contre-indications : infarctus/AVC récent, connectivités vasculaires sévères, HTA sévère mal contrôlée. Déconseillés pendant la grossesse par précaution (longue demi-vie).
    • Gepants : Petites molécules orales bloquant le récepteur CGRP. Atogepant remboursé en prévention en Belgique. Pas d’effets vasoconstricteurs (sûrs en cas cardiovasculaire). N’induisent pas de chronicisation (peuvent être pris quotidiennement). Demi-vie plus courte (arrêt rapide avant grossesse, mais récidive plus rapide à l’arrêt).

    Efficacité des anti-CGRP : 50-60 % de répondeurs à 50 % dans la migraine épisodique, 40-50 % dans la migraine chronique (sauf douleur permanente). Méta-analyses suggèrent les anticorps légèrement plus efficaces que les gepants, bien qu’une seule étude comparative directe n’ait pas montré de différence significative.

    Le remboursement en Belgique est limité aux patients avec ≥ 8 jours migraineux/mois et échec de 3 classiques (dont un bêta-bloquant et topiramate). Une pause thérapeutique obligatoire de 3 mois (anticorps) ou 1 mois (Atogepant) est requise après 15/12 mois pour continuer le remboursement, pendant laquelle les migraines réaugmentent chez la majorité des patients.

    Botox

    Efficace uniquement dans la migraine chronique. Efficacité inférieure aux anticorps monoclonaux. Option en cas de non-réponse aux anti-CGRP. Remboursé en milieu hospitalier. Effets secondaires rares.

    Traitements Non Médicamenteux

    Incluent :

    • Thérapies cognitives et comportementales (relaxation, gestion stress).
    • Yoga.
    • Neurostimulation non invasive (ex: Cefaly pour épisodique).

    Leur efficacité seule est peu supérieure au placebo, mais elles peuvent apporter un bénéfice additionnel en association avec les traitements médicamenteux.

    Cas Particuliers

    Les comorbidités (anxiété, dépression, autres douleurs) sont fréquentes et doivent influencer le choix du traitement.

    La grossesse réduit souvent la migraine sans aura (70-80 % d’amélioration au 2ème trimestre). Si traitement préventif nécessaire, options à risque zéro : métaboliques, non médicamenteux, Botox.

    Chez les enfants, les métaboliques et les approches non médicamenteuses sont souvent le premier choix en raison de leur tolérance.

    Conclusion

    La prise en charge préventive est individualisée. Le style de vie est une étape clé. Les classiques ont une efficacité limitée et des effets secondaires fréquents. Les métaboliques sont intéressants par leur bonne tolérance. Les anti-CGRP sont les traitements les plus efficaces, mais leur accès est limité en Belgique par des critères de remboursement stricts et une pause thérapeutique obligatoire. Le Botox est une option pour la migraine chronique réfractaire. Les approches non médicamenteuses sont complémentaires. L’information et l’accompagnement du patient sont essentiels.